Utilisation de l'écriture inclusive dans vos communications d'entreprise : Pour ou contre ?

écriture inclusive

par

Olivia Canedo

le

8
February 2024
4
minutes de lecture

À l'heure où les lois prônant l'égalité hommes-femmes se succèdent, la lutte contre les discriminations est toujours d'actualité et la problématique sociétale se répercute dans la langue française avec la question du genre et entre autres, de la féminisation des noms de métiers. Avec la création de l'écriture inclusive, dont le premier objectif est de représenter les genres de manière égale, une polémique est née entre les féministes, les défenseurs de l'évolution de la langue et les puristes, les conservateurs de l'Académie française, qui vont jusqu'à proclamer l'idée d'un masculin générique. Quels sont les arguments des uns et des autres ? Que dit la loi ? Quels sont les impacts pour l'entreprise et le recrutement ? Tour d'horizon.

Le fonctionnement de l'écriture inclusive

La question des genres dans la langue est typique aux pays francophones car elle est liée à l'absence du neutre en français. Elle a contribué pour partie à la naissance de l'écriture inclusive.

Définition

Initialement, l'écriture inclusive est constituée d'un « ensemble d'attentions graphiques et syntaxiques permettant d'assurer une égalité des représentations entre hommes et femmes »1. Elle sert également la cause des personnes se définissant comme « gender fluid » par exemple mais peut-être pas suffisamment celle des non-binaires ou transgenres d’où l’apparition du H/F/X après certains intitulés de poste. X se voulant être la représentation du neutre, même si là encore le choix de la lettre peut prêter à discussion.

Elle peut prendre différentes formes, dont le point médian qui fait polémique et qui est utilisé pour faire référence au genre masculin et féminin, au sein d'un même mot. Par exemple : entrepreneur.e. 

Comment écrit-on de manière inclusive ?

 L'écriture inclusive ne se résume pas au point médian et ses adeptes prodiguent des conseils d'écriture pour rédiger en langage inclusif :

  • La double flexion, expression employée par les linguistes, soit la juxtaposition des genres féminin et masculin pour certains mots. Exemple : les candidats et les candidates.
  • La parenthèse, pour intégrer le genre féminin. Exemple : les Français(e)s.
  • Le point médian, graphie utilisée pour inclure dans un seul mot les genres masculin et féminin. Exemple d'écriture inclusive : « les collaborateur.rice·s » comporte un doublement des genres.
  • Un terme épicène désignant indifféremment les deux sexes et restant invariable au singulier, qu'il soit de genre masculin ou féminin. Exemples : un ou une élève, enfant, journaliste, capitaine.
  • Pour alléger le texte, les défenseurs de l'écriture dite inclusive préconisent également de remplacer tout terme genré par une formulation « neutre » : au lieu d'écrire les « droits de l'homme », préférez « les droits humains ». Cela évite par la même occasion tout stéréotype de sexe. De même, en communication d'entreprise, il est possible d'employer « les collègues », au lieu des collaborateurs et collaboratrices ou des salarié.e·s.

En 2015, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes préconisait aux organismes publics la féminisation des mots et l'emploi de la double flexion2. 

Pourquoi c'est un sujet clivant ?

Pour comprendre la polémique autour de l'écriture inclusive, il est intéressant d'identifier son origine et les enjeux que cela soulève.

Le contexte historique

La masculinisation de la langue reflète la culture sociétale et les discriminations dont sont victimes les femmes depuis des siècles. Au XVIIe siècle, les femmes étaient comparées par certains aux ignorants. Pour Scipion Dupleix, en 1651, « le genre masculin est le plus noble », « à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », ajoutera l'académicien Beauzé, en 1767.

Ainsi, initialement, de nombreux substantifs n'existaient pas au féminin, en particulier les métiers, grades, titres et fonctions liés au pouvoir. En 1944, certains étaient même interdits au Journal Officiel, tels que colonelle, ambassadrice, magistrate, présidente. Il faudra attendre 1986 pour qu'une circulaire soit signée sur la reféminisation des noms de métiers dans les documents réglementaires ou administratifs que l’Académie française dénonce3.

Aujourd'hui encore, mettre au féminin certains mots implique de créer des néologismes qui bouleversent les stéréotypes et les usages et remettent en cause un ensemble de règles fixé par les académiciens et ce, malgré les diverses lois sur la parité, l'égalité entre les hommes et les femmes, qui devraient pouvoir se refléter tout naturellement dans la langue.

Le cadre politique

De nombreux politiciens s'opposent à l'écriture inclusive, comme l'ancien premier ministre, Édouard Philippe. Bien qu'il admette la nécessité de “ne pas marquer de préférence de genre”, il précise dans sa circulaire que « Dans les textes réglementaires, le masculin est une forme neutre qu'il convient d'utiliser pour les termes susceptibles de s'appliquer aussi bien aux femmes qu'aux hommes […] », par exemple, les citoyens français et il « proscrit l'écriture inclusive pour les cas où elle viendrait se substituer au masculin qui est utilisé dans « un sens générique »4. Cela équivaut à privilégier un masculin générique. De quoi faire bondir les féministes ! Depuis, le Conseil d'État a décidé que l'écriture inclusive ne devait pas s'appliquer aux textes officiels5. Enfin, le 30 octobre 2023, le Sénat a voté une proposition de loi visant à « protéger la langue française des dérives de l'écriture inclusive6 ». Cette dernière est interdite dans les modes d'emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d'entreprises, mais aussi les actes juridiques (sous peine de nullité), dans le code de l'éducation ainsi que dans tous les documents concernant le service public.

Les arguments « contre »

Les points de blocage seraient principalement dus à l'emploi du point médian et des parenthèses pour inclure le féminin dans un groupe nominal généralement représenté par un mot masculin. Exemple : les recruteurs / les recruteur.se.s. Les détracteurs de l'écriture inclusive, dont le gouvernement actuel, lui reprochent un manque de lisibilité et le fait qu'elle dénature la langue française. Pour les puristes de l'Académie française, l'écriture dite « inclusive » est une aberration qui met la langue française en péril mortel7. Par ailleurs, il est impossible de lire à voix haute certains types de contenus entrecoupés de points médians, dont l'usage abusif, entre autres, vient alourdir le texte. Pour certains linguistes, l'écriture inclusive représente une régression et est un obstacle à la lecture par des personnes dyslexiques, malvoyantes ou aveugles qui ont recours à des logiciels non conçus pour ce type d'écriture.

Enfin, le style inclusif ne facilite pas du tout le référencement par un moteur de recherche comme Google, ce qui représente un obstacle au recrutement. De plus, qui irait taper chef.fe de projet dans sa recherche d'emploi ?

Les arguments « pour »

  • Un masculin trop dominant

Selon les règles de grammaire française, un pronom personnel à la 3e personne du pluriel ou encore un adjectif qualificatif s'accorde au masculin s'il fait référence à un substantif masculin et à un substantif féminin. Exemple : les techniciens et les techniciennes, « experts » dans leur domaine, sont « nombreux ». « Ils » […]. En bref, le masculin est omniprésent et rend parfois invisible le genre féminin. Aujourd'hui encore, le gouvernement impose le masculin générique.

  • Un retour au neutre

La masculinisation de la langue est l'une des raisons pour lesquelles le néologisme iel, iels, a été créé, bien que très décrié. Employé comme pronom, il désigne une personne sans indication de genre.  Les gendarmes ont défilé hier. Iels étaient en uniforme.  Sans devoir inventer de nouveaux mots, il est également possible d'employer un terme neutre comme « la personne recherchée », ce qui implique d'enrichir son vocabulaire avec des synonymes.

  • La reconnaissance des métiers féminins

Si certaines professions ont longtemps été réservées aux hommes, aujourd'hui les noms de métiers ont leur équivalent féminin – et inversement. Ainsi, pharmacienne, qui désignait jusqu'à récemment la femme du pharmacien, figure à présent sur le diplôme des femmes. Contrairement aux idées reçues, la forme masculine de sage-femme, qui est initialement un métier féminin, existe ! Un nouveau nom de métier a pourtant été créé, maïeuticien, par machisme ? Sage-femme est un terme épicène, qui désigne le ou la sage qui aide une femme à accoucher. Certains noms de métiers sont faciles à féminiser, comme professeure. D'autres moins, comme plombière ou pompière. Quant aux titres féminins, ils sont discrètement « féminisables » depuis la circulaire de 1986 : Madame la Ministre, Madame la Maire (préféré à la mairesse).

  • La lutte contre les stéréotypes

L'usage de l'écriture inclusive n'est pas incompatible avec les règles grammaticales et participe à la lutte contre les stéréotypes de genre. En effet, l'écriture inclusive réduit nettement les représentations mentales liées à une domination du genre masculin, ne serait-ce que par l'emploi du masculin générique. Ainsi, il est difficile pour les femmes de s'identifier à un poste de « directeur ».

Une mutation inévitable

La législation a évolué certes, mais moins rapidement que la langue et les revendications sociétales. Aujourd'hui, certains enseignants refusent de transmettre cette ancienne règle de grammaire, édictée au XVIIe siècle, qui stipule que “le masculin l'emporte sur le féminin”, lorsqu'il s'agit d'accorder deux substantifs de genre différent.

Si l'écriture inclusive est encore loin de s'imposer, il n’existe aucun obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers. Dans la majorité des cas, c'est la féminisation de la profession qui modifie la forme grammaticale du nom de métier. Un rapport de l'Académie française, gardienne du bon usage de la langue, est d'ailleurs entièrement consacré à la féminisation des noms de métiers et de fonctions8. Malgré tout, les règles d'accord sont loin d'avoir évolué et l'actuelle question du genre est plus profonde. La réintroduction du genre neutre, qui existait déjà en latin, pourrait-elle être envisagée ?

Écriture inclusive et recrutement

L'écriture inclusive a également des impacts dans le domaine des ressources humaines.

Y a-t-il des obligations légales sur ce sujet pour les entreprises ? 

Oui et non. Les offres d'emploi devant être non discriminantes, elles doivent prendre en compte à la fois les femmes et les hommes. Pour ce faire, la mention H/F est fréquemment utilisée entre parenthèses à la suite de l'intitulé du poste. Mais elle ne suffit pas à aider les femmes à se projeter. En effet, « nous recrutons un directeur commercial H/F » n'a pas la même portée que « nous recrutons un directeur commercial ou une directrice commerciale ». Certaines entreprises affichent volontiers leur engagement vis-à-vis de l'inclusion, en utilisant systématiquement le masculin et le féminin dans le titre du poste. D'autres, comme Doctolib, vont encore plus loin puisqu'elles ont ajouté le X pour désigner les personnes non binaires ou transgenres, à l'instar de l'Allemagne, du Canada et de l'Italie. Ce qui donne notamment : chargé de recrutement X/F/H. Cependant, certains recruteurs s'opposent à l'écriture inclusive car la mention du sexe ne suffit pas à témoigner des pratiques d'inclusion. De leur point de vue, ils préfèrent se limiter à la mention des compétences.

Faut-il l'utiliser dans les annonces d'emploi ?

Écriture inclusive ou non, en déclinant systématiquement le nom du poste au masculin et féminin dans les offres d'emploi, le nombre de candidatures féminines augmente, les femmes pouvant se projeter plus facilement. Plusieurs formes sont possibles : directeur ou directrice général.e ; directeur général / directrice générale ; directeur.rice général.e pour représenter le féminin et le masculin avec un seul mot. En langage épicène, il suffit de préciser le genre avec le déterminant qui précède : un ou une responsable. De nouvelles formes grammaticales sont également apparues avec l'attribution de noms féminins aux métiers comme cheffe de projet, développeuse. Ainsi, la féminisation des titres de métiers et de fonctions développe l'attractivité de l'entreprise.

Quelles sont les pratiques dans les startups et les métiers de la tech ?

La sous-représentation des femmes dans les startups et les métiers de la tech ne facilite pas la parité, l'égalité professionnelle entre les sexes et encore moins le recrutement, dans un secteur pourtant en tension. Le flop actuel de l'inclusion est lié à la fois à des représentations mentales associées à des métiers majoritairement occupés par des hommes, à l'autocensure des femmes elles-mêmes et aux stéréotypes sexistes des partenaires et des investisseurs.

Les chiffres illustrent clairement le problème : 36 % des entrepreneur.e.s sont des femmes9 et en 2022, seulement 10% des startups européennes ont été créées par des femmes10 ou 20 % en équipe mixte, en ce qui concerne la France. De plus, les biais cognitifs sont encore très présents chez les grands investisseurs, qui sont à 85% des hommes, puisqu'ils accordent 70 % des levées de fonds à des hommes.

 Ainsi, peu de petites structures (startups, TPE, PME) pratiquent l'écriture inclusive, à moins d'avoir un dirigeant ou une dirigeante convaincu(e) par le sujet. En effet, ces entreprises possèdent rarement un service RH dédié, à même de rédiger des offres d'emploi inclusives et de former les collaborateur.rice.s. En affichant leur engagement de manière « trop » prononcée, les jeunes startups craignent également les réactions de leurs client.e.s.

En résumé, les difficultés de l'écriture inclusive à se faire accepter traduisent la persistance de certains clichés ainsi que la résistance au changement des puristes de la langue française. On peut se demander si une version « allégée » de cette pratique (sans point médian ni parenthèses) constituerait une solution plus lisible et permettrait d'assurer une communication publique sans stéréotype. Rien n'est moins sûr, d'autant plus que la proposition de loi votée au Sénat doit être soumise bientôt à l'Assemblée nationale. En outre, lorsque les offres d'emploi sont rédigées de manière inclusive, elles doivent aussi réellement refléter la culture d'entreprise. Il est en effet essentiel pour la marque employeur d'afficher uniquement les promesses que l'entreprise est capable de tenir 

Chez Skillink, nous avons choisi d’utiliser l’écriture inclusive dans nos annonces. Elle n’est évidemment pas parfaite, difficile à utiliser dans tous les textes et ne résout en aucun cas à elle seule tous les problèmes. Nous serons bien évidemment à l’écoute de l'évolution de la réglementation à ce sujet et très ouverts à des solutions encore plus efficaces. Mais, ne serait-ce que par le nombre de réactions qu’elle a suscité, l’écriture inclusive a été, selon nous, un grand pas pour mettre en évidence un problème de fond enraciné dans notre culture depuis trop longtemps et qui ne permet pas à tout le monde de s'épanouir convenablement.

Et puis réjouissons-nous de voir notre belle langue évoluer car les seules langues qui n’évoluent plus sont les langues mortes !

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